Instantanés d’humour

par Chet DU IMADOU

« Ce que j’aime, c’est les photos où il y a un
objet simple qui, par une saisie particulière,
devient un objet de luxe.
Moi je ne suis pas un reporter.
L’actualité ne m’intéresse pas.
La vie quotidienne est plus bouleversante »

Brassaï, in Notes et propos sur la photographie

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Le photographe est, je crois, une espèce de voyageur perpétuel. Qu’il soit devant chez lui ou à des milliers de lieues de là, il s’ attache à fixer tous les détails insignifiants et ordinaires du quotidien, il les entrevoit et les fixe avec le recul et l’ éloignement du promeneur solitaire fraîchement débarqué de son avion, de son train, de son bateau ou tout simplement de son lit. Quel émerveillement, quel luxe de pouvoir ouvrir les yeux, dès le réveil, sur la « farce » cachée des choses et du monde qui se présentent à lui comme si c’était la première fois qu’il les voyait ou les entendait! En effet, oui, avant d’ouvrir l’œil, il faut parler de l’ouïe- d’ailleurs ne dit-on pas être à l’écoute du monde- être en complète réceptivité avec son environnement, en disponibilité totale, au diapason de la petite musique de l’univers.  Bref, il est en voyage ‘as sensoriel’, au bout du monde visible et audible qui se déroule sous nos yeux et qui ne nécessite que notre singulière attention.

 

Alors, on lui prête des talents de dompteur, de prestidigitateur, de scénariste, d’architecte de l’ordre naturel des choses. On lui dit: « mais tu as fait poser le chat dans la vitrine! » ; « Tu as demandé au chien de lever les yeux au ciel ou tu lui as jeté un os en l’air! » ; « Mais où donc avez-vous dégoté cette affiche ? » ; « mais où donc avez-vous rencontré ces étranges hommes et femmes-cabines, cette fée sortie d’un sac? » A cela Edouard Boubat, le correspondant de paix, aurait répondu « devant chez vous, au bas de votre escalier, sous votre nez ( ou à vue de nez) ». Mais chacun sait qu’il avait appris l’art subtil d’apprivoiser le hasard. (Ou est ce plutôt le hasard lui-même qui l’a pris, choisi, élu comme maître !)

 

Je pense que le photographe cultive le don de nous rendre la vue plus facile, de nous redonner l’envie de vivre et le goût de sourire malgré tout et malgré soi. Pas celui de ‘souriez vous êtes filmés  » mais le sous-rire qui se trouve en nous, enfoui sous le vernis craquelé de l’ image que nous donnons aux autres, sous la carapace épaisse que nous nous imposons à nous-mêmes, sous laquelle nous pensons enfouir nos fragiles espérances de peur qu’ elles ne révèlent nos faiblesses. Il égrène ses perles d’humour pêchées à la surface du banal, sur le cuir sensible de nos carapaces, de nos certitudes, de notre suffisance ou simplement de notre cécité.

 

Il nous dévoile ces instants tannés d’humour au gré de ces centièmes de secondes, qui en s’ajoutant, finissent par créer une lame de fond capable de déclencher sur nos lèvres ce léger plissement, si caractéristique des moines bouddhistes et si énigmatique qu’ on les croirait au bord de l’ extase. Il nous évite de sombrer dans la désespérante et stérile attitude de l’ apitoiement sur soi même et invite à aller à la rencontre de l’ autre qui n’est finalement que notre semblable et pour qui nous devrions avoir toujours une indulgence bienveillante et affectueuse.

 

Car rire finalement n’est que la manifestation de cette tendresse innée, cet amour doux amer originel dont nous n’avions ni honte ni peur et que nous avons la fâcheuse tendance à perdre de vue lorsque nous égarons notre âme d’enfant. « Le rire rajeunit » dit le proverbe chinois. Et le photographe, le doigt sur le déclencheur nous pointe le chemin. Alors soyons soûls, soyons sous le charme, soulevons le voile, regardons ces instants tannés d’humour. Et sourions sans retenue à tout ce qui nous reste encore à voir et à partager maintenant que nous avons retrouvé la Voie.

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