La photographie de collection

Le marché de la photo de collection

Paris Photo : comment devenir collectionneur?

Entretien | Quels artistes choisir ? Où acheter ? Si l’on sait s’y prendre, la photographie n’est pas un art réservé aux millionnaires. A l’occasion de Paris Photo 2011, nous republions les conseils d’Alexis Fabry, éditeur et passionné de beaux tirages.

Le 08/11/2008 – Mis à jour le 29/03/2012
Propos recueillis par Luc Desbenoit – Télérama n° 3069

Fondateur et directeur des éditions Toluca, Alexis Fabry publie des ouvrages de photographies à ­tirage limité raffinés et imaginatifs sur les œuvres du Malien Malick Sidibé, du Mexicain Antonio Caballero, ou du Français Jean-Marc Bustamante. Les conseils de ce spécialiste des livres de photographies et des beaux tirages sont très prisés par les collectionneurs fortunés qui cherchent à composer des ensembles de qualité muséale.

Est-ce difficile de se lancer dans une collection de photographies ?
C’est en tout cas moins compliqué que d’entreprendre une collection d’art contemporain. La photographie est un médium relativement récent. Beaucoup de travaux sont référencés. On a des éléments pour s’y retrouver, pour savoir qui est qui, et qui a fait quoi. Alors que dans les autres arts plastiques, les pistes sont parfois tellement brouillées qu’il n’est pas évident de faire la différence entre un créateur et les plagiaires.

Il faut donc avoir une bonne connaissance de l’histoire de la photographie ?
Bien sûr, car la photographie, c’est le domaine de la fausse valeur par excellence. Cet art étant devenu à la mode, certains « artistes » se nourrissent de ce qui a été fait avant eux pour percer sur le marché de l’art contemporain. Si c’est relativement facile de détecter un faux Avedon, cela l’est beaucoup moins pour une œuvre qui s’inspire du superbe travail de l’Allemand Michael Schmidt, nettement moins connu. Je voyage beaucoup en Amérique latine et je suis toujours surpris par la quantité de photographes qui montrent de grands espaces vides à la façon de Candida Höfer. Leurs photos sont souvent très bonnes. Mais sans grand intérêt artistique, puisque l’Allemande fait cela depuis trente ans…

Est-il indispensable de solliciter l’avis d’un professionnel ?
Pas forcément. On peut tracer son chemin soi-même en fréquentant les bonnes librairies de photographies, souvent tenues par des passionnés qui aiment faire partager leur savoir. C’est passionnant de se documenter, de se cultiver, de faire évoluer ses goûts. La photographie est très comparable à la littérature. Certains lecteurs prennent du plaisir avec des textes moyens ou médiocres. Mais plus on lit, plus on devient exigeant. On aiguise ses sens. Les expositions permettent également de faire progresser son regard.

Que doit-on acheter si on veut commencer une collection de photos ?
La première chose est de se définir une période : que préfère-t-on ? Les photographes d’hier ou ceux d’aujourd’hui ? Je conseille toujours de ne pas se disperser. Une collection solide doit être cohérente. Je conseille également de délimiter une zone géographique, l’Europe, l’Amérique latine… Autrement, c’est sans fin.

Les prix sont-ils abordables ?
On peut très bien se constituer une collection remarquable avec des moyens raisonnables. Il faut d’abord avoir une idée précise des moyens que l’on veut y consacrer. Si vous disposez de 10 000 euros par an, c’est trop peu pour se lancer dans une collection de photographies plasticiennes, un genre très en vogue aujourd’hui. Mais avec la même somme, vous pouvez acheter une ou deux photos majeures par an de photographes américains de paysages des années 1970 par exemple, et posséder les mêmes œuvres que celles qui sont accrochées au musée d’Art moderne (MoMA) de New York.

Peu de gens peuvent se permettre de dépenser une telle somme…
Les choix peuvent aussi s’orienter vers de très bons photographes délaissés par le marché. C’est la démarche que je préfère en tant que collectionneur moi-même. Ainsi, pour 1 500 euros, on peut trouver un vintage [un tirage original réalisé par ou sous le contrôle de son auteur et qui date de la prise de vue] du Mexicain Pablo Ortiz Monasterio. Si vous vous intéressez à l’Afrique, une photo de l’excellent Nigérian J.D. Okhai Ojeikere est accessible pour encore moins cher. Et avant que son œuvre ne soit couronnée en 2007 par le Lion d’or de la Biennale de Venise, Malick Sidibé négociait ses tirages à moins de 1 000 euros. Il était déjà très connu et avait fait l’objet de nombreuses publications. Un portrait d’Indien du Péruvien Martín Chambi, en vintage, c’est 1 500 dollars (1 100 euros). Un prix ridiculement bas au regard de son talent. Idem pour les images du Français Bernard Plossu, très sous-évalué.

Où doit-on acheter ?
Je ne conseille pas de s’adresser aux salles des ventes, à moins de pouvoir s’y rendre physiquement et de constater l’état de la photographie. Sinon, on peut avoir de très mauvaises surprises. L’idéal est de s’adresser à la galerie qui représente l’artiste. C’est la garantie de ne pas être trompé. Un vintage n’est pas toujours facile à reconnaître. Tel artiste n’a utilisé que du papier Agfa mat jusque dans le milieu des années 1980. On reconnaît les premiers tirages de Koudelka au papier tchèque très épais, qui ressemble à du papier buvard. Les tirages d’époque de Lee Friedlander sont signés par leur format… Comme en bibliophilie, l’expertise d’une photographie ne s’improvise pas. Cela exige de sérieuses connaissances. Lorsqu’on a acquis un tirage, je conseille, si cela n’est pas fait, de le référencer soigneusement : de décrire sa taille, les éléments qui autorisent à dire que c’est un tirage d’époque et surtout en quoi il est emblématique dans le travail du photographe.

Quels livres de référence conseillerez-vous à ceux qui se lancent dans une collection ?
Sans hésitation, il faut se procurer le premier volume de Martin Parr et Gerry Badger sur l’histoire du livre de photographies (1). C’est une bible, un concentré de références. Les textes sont lumineux. Le deuxième volume est plus discutable. Par ailleurs, le catalogue de l’exposition « Cruel and tender » à la Tate Modern de Londres en 2003 est une très bonne synthèse de la photographie documentaire et plasticienne (2).

 

(1)   “Le Livre de photographies : une histoire”, tome 1, de Martin Parr et Gerry Badger , éd. Phaidon (2005), 320 p., 75 €.
(2) “Cruel and tender : Photographs of the twentieth century”, catalogue, textes d’Emma Dexter et Thomas Weski, 288 p, 29,99£

(2)    http://www.lense.fr/2011/06/03/les-15-photos-les-plus-cheres-de-lhistoire/

(3)    http://www.evous.fr/Mois-de-la-Photo-connaissez-vous-les-photographies-les-plus-cheres-au-monde,1171589.html

(4)    http://www.lexpress.fr/styles/shopping/4-raisons-de-collectionner-les-photos_829494.html