la photo d’émoi de Novembre/Décembre

man-arrete-sous-ombriere-2Marseille, 2016

Steve Cutts, animation for Moby & The Void Pacific Choir – Are You Lost In The World Like Me

Finalement après quatre mois de réflexion et d’encouragements de la part des destinataires de mon article, des proches je me décide à poursuivre le challenge de « la photo du mois », à un détail près, elle devient bimensuelle et aura pour titre « la photo d’émoi de » Je les remercie chaleureusement de me pousser dans mes retranchements pour reprendre la plume, histoire d’accompagner quelques unes de mes images.

A l’occasion de cette première bimestrielle, j’ai choisi une photo prise à Marseille, mon lieu de résidence depuis voilà plus d’un demi siècle… On y voit un monsieur à l’arrêt, assistant à une altercation d’un couple hystérique (hors champ) mais dont les éclats de voix ont particulièrement sidéré les passants,  surtout au vu de l’heure matinale de ce dimanche, sur le Vieux port. Il semble interloqué, médusé, incrédule, éberlué, lui qui a l’air de sortir tout droit d’un autre temps pas si ancien que ça.

Parfois, je suis comme ce monsieur, perplexe devant le monde qui se déroule sous mes yeux. Les portables ont envahi les lieux de vie un peu partout et tout va tellement vite grâce à Internet et aux nombreuses applis… Les images sont digitalisées par milliers, la musique et les livres numérisables à volonté, les chaines  câblées par centaines, « parabolisées », les cours et les formations bientôt généralisés en ligne, les relations ultra connectées, la vie « selfiesée » étalée sur les réseaux qu’il nous faut « liker », un  « # (hashtag) de ci de là« , les voyages deviennent low cost, les restos triple « advisorisés », les villes et les campagnes « boboïsées », les nouvelles idoles des jeunes sont des e-sportifs (joueurs pro de jeux videos) ou des é-chappés de « the Voice », e-cetera…

Et quand je marche dans les rues avec mon appareil argentique, que je promène mon regard autour de moi, les gens me semblent absents, ailleurs sur les écrans de leur vie qui se joue visiblement loin de l’endroit où nous nous trouvons. Je vois beaucoup de photos ( de plus en plus) de gens avec leurs portables postés par mes amis photographes sur certains réseaux qui dressent un constat similaire: l’Homo Sapiens est devenu Homo mobilis et connecticus…

Néanmoins lorsque je me hasarde à les photographier, il m’arrive parfois d’essuyer un air réprobateur ou même une réaction franchement agressive à mon encontre alors qu’ils dégainent leurs iphones à tours de bras désarticulés pour immortaliser une duck face (bouche en c.. de poule) ou un événement impromptu dans la rue et les partager aussi sec sur le web. Paradoxalement, ils m’invectivent en invoquant leur droit à l’image, m’intimant l’ordre d’effacer ladite image et ne comprennent pas lorsque je leur montre que je suis encore en argentique, en mode analogique. Du coup, ils ne comprennent pas où est l’image, où elle va et surtout pourquoi et de quel droit je les photographie. Mais ça, ça ne les intéresse plus puisqu’ils ne la voient pas en direct « live »! Du coup, ils n’insistent guère et ne prennent pas le temps d’entendre mes explications d’une technique démodée, dis-connectée et dont le processus s’avère trop lent à leur goût : La pellicule a ébranlé leurs certitudes technologiques et dans la foulée m’a rendu non visible comme la photo que je n’ai pas eu le loisir de montrer! Heureusement que parfois, certains me laissent leur mail afin que je leur renvoie leur image toujours en noir et blanc ce qui ne manque jamais de les étonner.

Certes autrefois, les images insignifiantes, sans réel intérêt avaient peu de lieux de propagation alors qu’aujourd’hui elles sont légions sur les réseaux, mais comment expliquer que des photographes dont le but est d’accorder un zeste de lisibilité aux situations ordinaires et banales, généralement empreints d’une certaine poésie, soient vus ou perçus comme des empêcheurs de tourner en rond. Quel sens les gens donnent-ils aujourd’hui aux photographies et surtout que deviendront-elles demain à l’ère du tout numérique?

C’est sûr, les temps changent  « Times they are changing… » et dire que Dylan vient d’être Nobélisé!