La photo du mois de Mars

HCB_in_Forcalquier
Henri Cartier Bresson, Forcalquier 2001

© Mathieu DO DUC

Rencontre avec Henri Cartier Bresson, HCB, dit « l’œil du siècle ».

Sur la photo du mois de Mars, Un grand maître de la photo que j’ai eu l’incroyable honneur de rencontrer en 2001, à  Forcalquier,  Alpes de Haute Provence à l’occasion de l’inauguration de la galerie Lucien en hommage à  Lucien, un de ses amis. HCB habitait à Montjustin, non loin de là.

L’exposition battait son plein depuis une bonne semaine et je  n’avais pas pu m’y rendre, notamment pour le vernissage au cours duquel, j’imagine, tout le »crottin » s’était déplacé, comme dirait un de mes amis.

J’ai attendu un jour plus calme et tranquille en semaine, jeudi je me souviens.

Par chance, ce jour là, il n’y avait pas grand monde: Une cinquantaine de clichés du plus grand photographe du monde sous mes yeux presque pour moi tout seul.

Et la cerise sur le gâteau, à côté d’une voûte, je remarquai alors  que HCB en personne était dans la galerie, incognito comme à son habitude. Je devais être le seul à l’avoir reconnu, à l’avoir « démasqué »…

J’ai prétexté la demande d’un autographe*, pour engager la conversation, ce que je ne fais jamais d’ordinaire mais vu les circonstances, je lui ai donc demandé de signer sur le billet d’entrée.  Au moment de signer, n’ayant rien de rigide, j’ai sorti mon portefeuille pour qu’il puisse s’appuyer dessus.

C’est alors que HCB , fit mine de le mettre dans sa poche intérieure, comme pour simuler un vol par un pickpocket et me dit d’un air malicieux et réjoui tel un enfant faisant une bonne blague:

« Vous savez je suis un peu voleur, d’ailleurs…  » en me montrant ses photos au mur, il poursuivit:

« … toutes ce imagesje les ai volées! »

« Ce n’est pas grave, il n’y a pas grand chose dedans, «  lui ai-je rétorqué, « je me servirais sur les cimaises, deux ou trois  photos feraient l’affaire chez moi et en plus je serais gagnant! »

Il se mit à rire et signa le papier d’une écriture hésitante!

« Vous êtes vietnamien, vous! »  me lança t-il gaiement en me tendant l’autographe.

« Oui! »

« Vous voyez comme je suis physionomiste, je n’ai pas perdu l’œil! »

Il  rit de nouveau et nous nous sommes mis ensuite à parler de ses photos, de ses voyages en toute simplicité pendant dix longues minutes . Une grande leçon de photographie et de modestie avec un monsieur de 91 ans!

Je me souviens surtout d’un moment,  celui où en me montrant de ses doigts la veine de son poignet, il déclara:

« … elles viennent de là mes photos, de la vie qui coule dans ces veines…  » en ajoutant à mi voix « ce n’est pas comme la photo conceptuelle, quelle m…….! »

Ce n’était visiblement pas sa tasse de thé!

En le quittant, ne pouvant me résoudre à le laisser partir sans le photographier, je me suis posté non loin au bas de cette rue et j’ai pris cette photo de lui avec Martine Franck et sa maman et une dame sans doute son auxiliaire de vie. Il a failli bondir sur moi avec sa canne, un bref moment de « colère » dans ses yeux, vif comme un chat et m’a dit:

 « Vous savez bien que je n’aime pas ça! »

« Je sais, c’est pour ça que j’ai déclenché! Moi aussi je suis un peu voleur… »

lui ai-je répondu.

Il m’a souri et est reparti.

Trois ans plus tard l’œil du siècle se fermait…Martine Franck également  est allée le rejoindre au paradis de photographes.

Cette photo n’est pas une grande photo mais elle m’est très chère. Prendre HCB dans la rue, lieu où il excellait dans son art avec le panneau « Recup’ Art » dans le fond me rappelle cette rencontre inopinée avec un monument de la photographie et me permet aujourd’hui de lui rendre hommage et de revisiter son oeuvre. Nous, photographes, et surtout ceux qui pratiquent la « street photography » lui devons tant. Je ne sais pas si cette rencontre a été décisive pour la suite de mon travail, en tout cas elle m’ a conforté dans l’idée de continuer mon chemin dans cette direction, confronter son regard à la vie et son mouvement perpétuel dans l’extraordinaire banalité de chaque jour, chaque minute, chaque seconde pour ne pas manquer le rendez vous avec « l’instant décisif ».


*Le plus étonnant dans l’histoire, c’est que j’ai égaré l’autographe…

« Don’t think twice » interprétée par Clarence Gatemouth BROWN    de l’album « A long way home »

[contact-form][contact-field label=’Nom’ type=’name’ required=’1’/][contact-field label=’E-mail’ type=’email’ required=’1’/][contact-field label=’Site Web’ type=’url’/][contact-field label=’Commentaire’ type=’textarea’ required=’1’/][/contact-form]